Enseigne ou préenseigne : une qualification qui porte sa croix

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Un arrêt récent de la Cour administrative d’appel de Paris a conforté une appréciation restrictive de la notion d’enseigne telle que dégagée à la suite de la jurisprudence du Conseil d’Etat dite « Pharmacie Matignon ». Une telle interprétation pourrait ainsi remettre en question la légalité de nombre de croix de pharmacie – et de bien d’autres enseignes – installées, certes sur la même façade que le local commercial, mais à distance de son entrée ou de sa devanture. En effet, la requalification en préenseigne engendre l’application d’un régime beaucoup moins libéral, conférant de la sorte de nouveaux moyens aux voisins immédiats – particuliers ou commerçants – importunés par la pollution visuelle issue de l’installation.

CAA Paris, 1ère chambre, 19 novembre 2020, n° 19PA01120, 19PA01121

  1. Enjeu de la qualification d’un dispositif en tant qu’enseigne ou préenseigne

La distinction entre enseigne et préenseigne, si elle s’avère parfois tenue malgré leurs définitions énoncées à l’article L. 581-3 du code de l’environnement (cf. infra), présente un enjeu de qualification qui n’est pas négligeable.

En effet, dès lors que les préenseignes sont soumises aux dispositions qui régissent la publicité en vertu de l’article L. 581-19 du code de l’environnement – et sauf dérogation énumérée à cet article[1] – le régime applicable diffère fondamentalement si le dispositif litigieux est qualifié d’enseigne ou de préenseigne, le premier étant sensiblement plus libéral que le second.

En particulier, lors de l’installation du dispositif litigieux, il convient de relever que, sous peine de sanctions administratives et pénales[2] :

  • en vertu des articles L. 581-6 et R. 581-6 du code de l’environnement, l’installation, le remplacement ou la modification de préenseignes dont les dimensions excèdent un mètre en hauteur ou 1,50 mètre en largeur est soumise à déclaration préalable auprès du maire si la commune dispose d’un règlement local de publicité et auprès du préfet, le cas échéant.

En outre, les préenseignes lumineuses autres que celles qui supportent des affiches éclairées par projection ou par transparence sont soumises à autorisation préalable de l'autorité compétente[3].

De même, dès lors que les préenseignes sont soumises aux dispositions qui régissent la publicité en vertu de l’article L. 581-19 du code de l’environnement, leur installation est interdite dans les secteurs ou sur les supports où la loi interdit la publicité – de manière absolue[4] ou relative[5].

De plus, en raison de leur soumission aux dispositions qui régissent la publicité, leur installation en saillie est compromise. En effet, elles doivent être situées :

  • lorsqu’elles sont non lumineuses, sur le mur qui les supporte ou sur un plan parallèle à ce mur, et ne peuvent constituer par rapport à ce mur une saillie supérieure à 0,25 mètre[6] ;

  • lorsqu’elles sont lumineuses, dans un plan parallèle à celui du mur qui la supporte et de telle sorte qu’elles ne dépassent pas les limites du mur qui les supporte[7].

  • en vertu de l’article L. 581-18 du code de l’environnement, l’installation des enseignes n’est soumise à autorisation préalable que si :

  • elles sont à faisceau de rayonnement laser ;
  • elles sont installées sur un immeuble ou dans un lieu mentionné aux articles L. 581-4 et L. 581-8 du code de l’environnement (cf. supra) ;
  • le règlement local de publicité les y soumet[8].

Ainsi, contrairement aux préenseignes dont l’installation est interdite dans les secteurs ou sur les supports où la loi interdit la publicité – de manière absolue ou relative (cf. supra) – il n'existe aucun secteur d'interdiction légale des enseignes.

De même, contrairement aux préenseignes, l’installation des enseignes en saillie est rendue possible pour autant que les enseignes perpendiculaires :

  • ne dépassent pas la limite supérieure du mur qui les supporte ;

  • ne constituent pas, par rapport à ce mur, une saillie supérieure au dixième de la distance séparant les deux alignements de la voie publique, sauf si des règlements de voirie plus restrictifs en disposent autrement. Dans tous les cas, cette saillie ne peut excéder deux mètres[9].

Par conséquent, la qualification d’un dispositif d’enseigne ou de préenseigne est fondamentale, notamment lors de son installation.

II.            Une qualification d’enseigne problématique dans les grandes agglomérations

La distinction entre les enseignes et les préenseignes s’apprécie, selon les dispositions de l’article L. 581-3 du code de l’environnement, par rapport à la notion d’immeuble :

  • Soit le dispositif est placé sur l’immeuble et est relatif à l’activité commerciale qui s’y exerce, et c’est alors une enseigne.

  • Soit le dispositif indique la proximité d'un immeuble où s’exerce ladite activité, et c’est alors une préenseigne.

A ce titre, la notion d’immeuble avait fait l’objet d’une interprétation jurisprudentielle par le Conseil d’Etat dans son arrêt du 4 mars 2013 n° 353423 dite « Pharmacie Matignon » afin de prendre en compte la particularité des grandes agglomérations, comme Paris, où existent de nombreux « pâtés de maison » et grandes surfaces commerciales.

En effet, la Haute juridiction avait retenu « que ne peut recevoir la qualification d’enseigne que l’inscription, forme ou image, apposée sur la façade ou devanture du lieu même où s’exerce l’activité, tandis que doit être regardée comme une préenseigne toute inscription, forme ou image qui se dissociant matériellement du lieu de l’activité, indique sa proximité à l’attention du public ».

Autrement dit, afin de ne pas qualifier d’enseigne des dispositifs situés sur d’autres façades d’un l’immeuble que celle où s’exerce l’activité, le Conseil d’Etat avait de la sorte réduit la notion d’immeuble à la façade ou la devanture du lieu même où s’exerce l’activité[10].

Toutefois, cette jurisprudence ne permettait pas à elle-seule de déduire la qualification de préenseigne d’un dispositif certes situé sur la façade du lieu même où s’exerce l’activité, mais qui n’est ni à l’endroit, ni même à proximité immédiate, de la devanture ou de l’entrée du local.

Ceci est d’autant plus vrai qu’à l’occasion de cette décision, le rapporteur public, M. Damien Botteghi, avait semblé proposer une interprétation très restrictive de la notion d’immeuble[11] selon laquelle la qualification du dispositif tiendrait à sa seule distanciation avec l’entrée du local commercial :

« la préenseigne est celle qui indique la proximité d’un lieu, l’enseigne celle qui indique l’activité qui s’y exerce. En principe par conséquent, une enseigne est apposée sur la devanture du local commercial ou la façade de l’immeuble ; une enseigne indique bien l’exercice d’une activité ayant lieu dans l’immeuble si l’on emprunte l’entrée où se trouve le panneau. La notion d’entrée de l’immeuble, plus que de devanture, nous semble essentielle.

En revanche, toute inscription, forme ou image dissociée de l’entrée est une préenseigne puisque son but est d’indiquer à proximité, l’existence du lieu et d’inviter à s’y rendre en se déplaçant. Dans certaines configurations, elle peut avoir été apposée sur le même immeuble mais est dissociée de l’entrée effective, ce qui est le cas d’espèce (de la pharmacie Matignon) ». 

Dès lors que la Haute juridiction n’avait pas repris cette motivation afférente à la proximité de l’entrée du local, le propriétaire d’un dispositif pouvait utilement soutenir que ce dernier pouvait être qualifié d’enseigne – sans considération de sa distance avec l’entrée du local commercial – pour autant qu’il était :

  • soit apposé sur la « devanture » du local commercial où se déroule l’activité ;


D’ailleurs, le juge administratif avait par la suite qualifié d’enseigne un dispositif qui, bien que situé sur la même façade que l’immeuble où se déroulait l’activité commerciale, n’était pourtant pas précisément situé au 243 rue de Bercy, adresse de la devanture du commerce, mais au 241 rue de Bercy, où était situé la boîte aux lettres de la société et les cuisines du restaurant[12].

Cette interprétation était d’autant plus crédible que, dans une affaire plus récente[13], le rapporteur public, M. Guillaume Odinet, avait circonscrit les effets de la jurisprudence dite « Pharmacie Matignon ».

A cet égard, il avait retenu que le raisonnement de la Cour administrative d’appel, selon lequel « une inscription, forme ou image implantée au sol ne reçoit la qualification d’enseigne que si elle est installée à proximité immédiate de l’entrée de l’immeuble où s’exerce l’activité signalée », procédait d’une erreur de droit « car il ajoute à la loi un critère qui n’y figure pas, à savoir la proximité de l’entrée des locaux d’exercice de l’activité »[14].

Alors qu’elle traitait une hypothèse différente de celle dans laquelle l’immeuble où s’exerce l’activité est intégré dans un ensemble plus grand – à savoir celle d’un dispositif scellé au sol ou installé sur le sol – cette précision du rapporteur public présentait un intérêt majeur dans la mesure où elle retenait que la proximité de l’entrée des locaux d’exercice de l’activité était sans incidence sur la qualification d'enseigne.

Néanmoins, il est manifeste que la Cour administrative d’appel de Paris a ignoré cette interprétation.

III.          Une qualification d’enseigne subordonnée à la proximité de l’entrée des locaux d’exercice de l’activité

Par un arrêt rendu le 19 novembre 2020, la Cour administrative d’appel de Paris a écarté toute interprétation plus libérale de la jurisprudence dite « Pharmacie Matignon » en retenant explicitement qu’un dispositif, qui était certes situé sur la même façade que la devanture de la pharmacie litigieuse, à l’angle de l’avenue des Champs Elysées, mais qui était distant de 9 mètres de l’entrée de l’officine, située au 130 rue de la Boétie, devait être qualifié de préenseigne.

« Si la société requérante fait valoir qu’elle occupe le même immeuble que la société Tiffany et Co, que leur façade est commune, que son siège social est situé au 62 avenue des Champs-Elysées et que le bail stipule que les locaux loués sont situés à cette dernière adresse, il résulte cependant de ce qui a été dit au point 11 que l’activité de la pharmacie s’exerce au 130 rue La Boétie là où est située son entrée, que la croix, du fait de la distance de 9 mètres qui la sépare de la pharmacie, constitue une préenseigne et que rien ne fait obstacle à ce qu’une autre enseigne soit installée sur la devanture de la pharmacie »[15].

Aux termes de cet arrêt, un dispositif ne pourrait donc être qualifié d’enseigne que s’il est :

  • soit apposé sur la « devanture » du local commercial où s’exerce l’activité ;

  • soit sur la « façade » de l’immeuble où s’exerce l’activité commerciale mais à proximité immédiate de l’entrée du local.

En outre, cet arrêt précise que la qualification d’enseigne n’est appréciée que par la seule distance séparant le dispositif litigieux des locaux commerciaux où s’exerce l’activité – plus précisément, l’entrée du commerce – à l’exclusion de tout autre local, notamment du siège social.

De la sorte, la Cour administrative d’appel a retenu qu’était sans incidence, d’une part, la circonstance que le siège social de la pharmacie était situé au 62 avenue des Champs-Elysées, à savoir sur l’autre façade qui formait, avec la rue de la Boétie, l’angle de l’immeuble où était située la croix litigieuse, et d’autre part, que le bail stipulait que les locaux loués étaient situés à cette même adresse.

Par conséquent, en l’état de la jurisprudence, il ne peut être que recommandé aux exploitants d’enseignes de veiller, à titre conservatoire, à ce qu’elles soient situées sur leur devanture ou à proximité de l’entrée du local où leur activité s’exerce.

En tout état de cause, une nouvelle décision de principe du Conseil d’Etat serait opportune afin de trancher définitivement cette difficulté de qualification d’enseigne ou de préenseigne, aujourd’hui source d’insécurité juridique.



[1] CE, 30 Mars 2009, n° 305913.
[2] Articles L. 581-26 et suivants et articles R. 581-82 et suivants du code de l’environnement.
[3] Articles L. 581-19 et L. 581-9 du code de l’environnement.
[4] En vertu des articles L. 581-19 et L. 581-4 du code de l’environnement, l’installation d’une préenseigne est interdite sur les immeubles classés ou inscrits au titre des monuments historiques, sur les monuments naturels et dans les sites classés, dans les cœurs des parcs nationaux et les réserves naturelles, sur les arbres, ou encore – en cas d’interdiction du maire – sur les immeubles présentant un caractère esthétique, historique ou pittoresque. Elle l’est également en dehors des lieux qualifiés d'agglomération en dehors des exceptions visées à l’article L. 581-19 du même code. Il en va de même dans les hypothèses énumérées à l’article R. 581-22 du code de l’environnement.
[5] Conformément aux articles L. 581-19 et L. 581-8 du code de l’environnement et sauf disposition contraire du règlement local de publicité, l’installation de préenseignes est interdite à l’intérieure des agglomérations aux abords des monuments historiques mentionnés à l'article L. 621-30 du code du patrimoine, dans le périmètre des sites patrimoniaux remarquables mentionnés à l'article L. 631-1 du même code, dans les parcs naturels régionaux, dans les sites inscrits, dans l’aire d’adhésion des parcs nationaux, dans les zones spéciales de conservation et dans les zones de protection spéciales, et à moins de 100 mètres et dans le champ de visibilité des immeubles présentant – après décision du maire – un caractère esthétique, historique ou pittoresque.
[6] Article R. 581-28 du code de l’environnement.
[7] Article R. 581-36 et R. 581-37 du code de l’environnement.
[8] TA Lyon, 2 novembre 2011, n° 0904010 : en dehors de ces hypothèses, l’installation d’une enseigne n’est pas soumise à une obligation d’autorisation préalable du maire.
[9] Article R. 581-61 du code de l’environnement.
[10] Comme l’a très justement synthétisé le rapporteur public, Guillaume Odinet, à l’occasion d’une décision ultérieure : « lorsque l’immeuble où s’exerce l’activité est inclus dans un ensemble d’autres immeubles [Ou lorsque l’activité est exercée dans une fraction d’un immeuble], les inscriptions, formes ou images  qui sont apposées sur cet ensemble d’immeubles [Ou sur cet immeuble dans son ensemble] ne sont pas, de ce seul fait, des enseignes ; elles ne le sont que si elles sont apposées sur la façade ou devanture du lieu d’exercice de  l’activité (c’est-à-dire sur l’immeuble [Ou la fraction d’immeuble] où l’activité s’exerce effectivement) » (CE, 7 février 2020, n° 419302).
[11] Cette interprétation était d’autant plus restrictive que le législateur, en employant le mot immeuble à l’article L. 581-3, a entendu se référer à la notion civile, qui embrasse autant les bâtiments construits que les terrains eux-mêmes (v. art. 518 du code civil) (conclusions du rapporteur public, M. Guillaume Odinet : CE, 1er avril 2019, n° 416919 ; CE, 7 février 2020, n° 419302).
[12] TA Paris, 19 février 2015, Sarl le P’Tit Bercy, n° 1405913.
[13] Conclusions du rapporteur public, M. Guillaume Odinet : CE, 7 février 2020, n° 419302.
[14] CE, 7 février 2020, n° 419302.
[15] CAA Paris, 1ère chambre, 19 novembre 2020, n° 19PA01120, 19PA01121.

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